Les Escapades de Natacha au coeur de l'entreprise sociale et solidaire Atelier Bois
Natacha de Santignac, journaliste, blogueuse et voyageuse, part à la découverte des membres de la Chambre et vous propose de l’accompagner dans ses « petites escapades » au cœur de l’économie sociale et solidaire, aujourd’hui à l'Atelier bois.
Alors, il faut clarifier un point tout de suite : dans l’atelier où je me trouve, si je touche une seule des nombreuses machines scintillantes, tranchantes et rapides dont je suis entourée, il ne restera rien de moi à la fin de mon escapade ! Ben oui, c’est une chose de cueillir des framboises, c’en est une autre de préparer une charpente !
C’est Alban Lalou, associé, qui m’accueille à l’Atelier Bois. Il me propose une petite visite guidée de cet espace qui me paraît aussi immense que mystérieux. Tour à tour, il me présente, le bois qui arrive en tranches d’arbre, les poutres « poilues » dont les échardes sont à l’affût de toute main imprudente, ou encore les copeaux, aux formes poétiques, entassés dans des sacs pour être recyclés. Puis vient le tour des machines qui m’intimident toutes ! La toupie qui sculpte des arabesques aussi sages qu’excentriques, le banc de coupe qui me fait frémir alors qu’il est au repos, la scie circulaire qui ne ressemble en rien à celle qu’on a trouvé bon de me dérober dans le garage, le rabot à taille de géant, puis pour finir la colleuse qui laisse Alban nostalgique. Il m’explique en effet que les colles d’antan, d’os ou de poisson, permettaient de reprendre, retravailler, alors que celles du XXIème siècle ne laissent aucune place au retour en arrière ! A la fin de notre petit tour, il me présente Isofloc (j’ai même droit à un mini échantillon dans un petit paquet : small is beautiful !), l’isolant que la société utilise et qui est, de la meilleure qualité !
L’Atelier Bois, situé à Châtelaine existe depuis l’an 2000, au départ trois puis quatre compères. Aujourd’hui, ils sont deux aux commandes, Alban Lalou et Matthias Fisch. La société compte neuf employés : huit hommes et une seule femme, Sophie, la secrétaire qui malheureusement est souffrante aujourd’hui. L’atelier, un peu fantomatique en ce lundi (tout le monde travaillant sur des chantiers), me laisse une première impression de nuage de poussière de bois : une fine particule de sciure ayant conquis le moindre coin de la surface de 180 m2. L’amabilité et la simplicité d’Alban sont de bons augures pour ma visite de chantier prévue le lendemain au cœur de la campagne genevoise. Le rendez-vous est fixé à 7h30, heureusement, je naviguerai contre la marée !
Ah, mais quelle heure est-il ? 6h00, de bleu ! Il faut se mettre en route ! Dur, dur d’être charpentier ! 7h00, me voici sur la route. Un lever de soleil splendide aux dégradés de rose m’accompagne alors que je gravis la route de Chancy en direction de Bernex. Les trams défilent déjà bien bondés et la route s’est muée en serpent sans fin. Je me retrouve coincée derrière un camion et je pressens que je suis un peu juste au niveau du « timing », pas forcément ce que je préfère…
J’arrive enfin, 7h33, ça va ! Le chantier est assez conséquent, rénovation et construction. Steve qui travaille chez Atelier Bois depuis cinq ans, et Laurent, ancien apprenti, embauché il y a deux ans, sont maîtres à bord. Un maçon et un plombier sont également à l’œuvre sur place, mais concentrons-nous sur le bois ! Il y en a partout et sous toutes les formes : des poutres, des copeaux, de la sciure, des tasseaux, des plaques et même une boîte à outils géante dans laquelle se trouve tout ce dont Steve et Laurent peuvent avoir besoin !
Et soudain, la déferlante ! Vire vent, crémaillère, pare-vapeur, fausse équerre ou sauterelle, petit rabot ou petit Guillaume (A.O.C.*), platebande, crapaud, chanlatte… Une infinité de mots me submerge et je suis dans l’obligation de constater que la langue de Molière possède encore beaucoup de secrets y compris pour moi, qui en suis si férue ! Reprenons, donc au hasard : la chanlatte : section de bois qui reçoit le premier rang de tuiles. Le vire vent : pièce de bois ou de métal en bordure de toiture servant à maintenir les tuiles ou la couverture du toit.
Les explications durent et durent encore, il est déjà neuf heures ! Alban arrive, et nous surprend Steve et moi en grande conversation. Après le petit précis de vocabulaire, nous avons dérivé sur nos origines respectives et « v’là t’y pas », comme on dit chez moi, que sa mère est de Lille, comme moi ! Après un café rapide, autour duquel on ne sent aucun rapport hiérarchique mais plutôt une grande confiance saupoudrée d’humour, tout le monde retourne à ses moutons (dans le froid, il faut être honnête, et je ne sais pas combien de temps je vais encore tenir !). Mon mouton, c’est l’observation, celui de Laurent, les mesures de découpe et celui de Steve, la découpe. Nous nous glissons sous nos casques, les bruits aussi stridents que plaintifs entament leur chant de sirènes, les particules de bois commencent leur danse. La concentration est de mise. J’ouvre grand les yeux et n’ose prononcer une seule parole. Au détour d’un coup de scie, je découvre, avec stupeur qu’il y a des codes à respecter lorsque les planches sont marquées pour la découpe ! Par exemple la partie où un cercle est dessiné désigne la chute, ce qui indique de quel côté la lame doit se situer. Je monte et je descends les escaliers métalliques de fortune érigés pour permettre l’accès à l’étage. Je regarde comment les pièces sont imbriquées, en ménageant mon vertige personnel et celui que je ressens pour Laurent, qui de plus en plus haut, se perche sur des planches de plus en plus branlantes !
Le maçon a entamé d’abattre une partie de mur, nous ne sommes plus que poussière. Le plombier vaque à sa tuyauterie, Steve et Laurent mesurent, découpent et posent. Tout cela est réglé comme du papier à musique. Petit à petit, chacune des parties s’encastre avec la précédente jusqu’à ce que l’objet, ici des appartements, soit prêt à commencer sa nouvelle vie. Je suis transie de froid et dois me retirer, mais quelle matinée !
Le temps c’est de l’argent, vraiment ?
Qui d’entre nous ne connaît pas cette expression ? Personne. Mais le temps se décline-t-il uniquement en monnaie sonnante et trébuchante ? Ou ne pourrait-on pas lui accorder de nous offrir une certaine liberté, une certaine flexibilité s’accordant de plus en plus avec des aspirations de bien-être qui se développent en parallèle à notre mode de vie de consommateur effréné mais aussi fatigué ?
Il y a longtemps que la question a été tranchée à l’Atelier Bois. Tout le monde travaille à 80%, du lundi au vendredi. Personne n’a un jour fixe de congé mais on fait les calculs et si un employé a besoin d’une matinée ou de plusieurs jours pour ci ou ça, il a la possibilité, au vu des heures qu’il a accumulé, de s’absenter. Bien sûr, il ne le fera qu’après en avoir parlé avec ses collègues. Alban et Matthias, laissent l’équipe s’autogérer au maximum. La confiance est la base du travail à tous les niveaux, et cela se sent lorsqu’on est avec l’équipe.
Alban m’explique que la décision de proposer un taux d’occupation à 80% a été motivée à la fois par l’aspect social, mais aussi l’aspect économique. Au niveau social, il s’agissait d’offrir aux employés ainsi qu’aux associés, la liberté de pouvoir avoir une vie en dehors du travail, et plus de temps que les quatre semaines de congés annuels. Au niveau économique, le 80% offre à l’atelier une souplesse qui lui permet de s’ajuster en cas de baisse temporaire d’activité et d’éviter ainsi des licenciements.
De ce que j’ai pu observer, il fait bon travailler chez Atelier Bois, et même Steve, un peu grognon parfois, qui avait juré de ne plus exercer dans le bâtiment, y est content. Ce qui me reste est que la reconnaissance de chacun et l’écoute de tous font que ça roule chez Atelier Bois !
* Expression inventée à l’Atelier Bois dont un collaborateur s’appelait Guillaume.
Natacha de Santignac - www.kaleidoscopes.ch