La transparence dans l'ESS: un tabou ? Discussion à partir d'une enquête vaudoise
28° Café des bonnes pratiques, novembre 2012
Introduction
La gestion, ou encore la gouvernance, d'une entreprise touche tous les domaines de la marche de l'entreprise : démocratie, gestion du personnel, conditions salariales et sociales ... etc. C'est l'une des dimensions fondamentales qui distingue l'entreprise ESS des autres entreprises. Nous avions discuté de ce thème lors du 1er Café des bonnes pratiques le 4 mai 2007 (pour lire la synthèse du débat, cliquez ICI!). Que s'est-il passé depuis 5 ans dans nos entreprises membres ? Avons nous progressé dans la démocratie participative, la politique salariale, la gestion des compétences, de la formation continue, des conflits, du stress ? Où en sommes-nous ?
Nous avons fait le point sur ces questions au cours de deux cafés (octobre et novembre 2012) en confrontant nos expériences avec celles de nos amis vaudois d'APRÈS Vaud et de deux chercheurs de l'université de Lausanne. En effet, ces derniers ont conduit une enquête auprès des membres d'APRÈS Vaud et d'autres entreprises dans le cadre d'une étude sur l'économie sociale et solidaire dans le canton de Vaud, dont les premiers résultats sont sorti en automne 2012 et sont, selon leurs dires, mitigés.
Synthèse
Présents : 3 entreprises membres, 1 entreprise intéressée, 14 personnes
Michael Gonin et Nicolas Gachet, de l'université de Lausanne, présentent les résultats de leur enquête (voir la synthèse du 27e café) en ce qui concerne la transparence au sein de l'entreprise et vis-à-vis de l'extérieur. La transparence s'appréhende à partir de l'analyse de l'accessibilité de l'information aussi bien pour les membres de l'entreprise (accessibilité interne) que pour le public (accessibilité externe). Car l'absence d'accès à l'information empêche la participation aux décisions, l'évaluation de ce qui est fait et le contrôle à tous les échelons de l'entreprise : tout le contraire des valeurs prônées par l'ESS.
Principaux résultats
Le questionnaire de l'enquête portait sur 7 points pour chacun desquels l'accessibilité était analysée : les statuts, le rapport d'activité, les rapports financiers, les objectifs (ou la stratégie), l'évaluation (ou l'audit), la liste des membres du comité, la grille salariale. On donne dans le tableau ci-dessous le taux d'accessibilité de ces documents pour les entreprises de l'étude vaudoise.
Comme on pouvait s'y attendre, on observe une hiérarchie des documents dans leur accessibilité. Les rapports d'évaluation ou d'audit ainsi que la grille salariale ne sont librement accessible que dans un tiers des cas environ. Si l'on construit à partir des 6 critères ci-dessus un indice composite de transparence selon la définition adoptée par APRES-GE, on obtient que 42 % des entreprises qui se revendiquent de l'ESS sont réellement transparentes. Pour les entreprises contactées à partir du registre du commerce, le taux de transparence n'est plus que de 33 %. Si maintenant on considère les entreprises de l'échantillon selon leur statut juridique, ce sont les associations qui sont le plus transparentes (52%), suivies des fondations (34%) et des coopératives (31%). Quant aux entreprises à statut juridique traditionnel (SA, SARL, société simple, établissement de droit public), qui sont au nombre d'environ 90 dans l'échantillon de l'étude, leur taux de transparence est de 3 % !
De tels résultats ne manquent pas de nous interroger. Faut-il les expliquer par ce qu'on pourrait appeler une opacité involontaire : l'entreprise n'aurait pas pris conscience de l'importance d'être transparente et de le faire savoir ? Elle n'aurait donc pas fait l'effort de constituer la documentation adéquate et d'organiser sa diffusion, alors même qu'elle se déclarerait a priori favorable au principe de transparence ? Ou faudrait-il penser que la culture du secret, si bien implantée dans les entreprises traditionnelles, a « silencieusement » infecté les entreprises de l'ESS ? Quelle que soit la réponse donnée, force est de reconnaître une fois de plus (cf. synthèse du 27e café) qu'il existe un fossé, plus ou moins grand, entre la pratique réelle et les principes revendiqués.
Débat
Le débat qui suit fait apparaître d'abord la question des moyens à mettre en œuvre pour devenir transparent. Etablir une documentation adéquate et la rendre accessible demande du temps et des forces. De surcroît, cela suppose un travail bureaucratique qui est souvent mal considéré, voire combattu, notamment dans les petites structures de l'ESS. Et puis, l'activité de communication demande autant d'argent que de temps et elle se trouve bien souvent reléguée au second rang (après la production des biens et services qui définissent l'entreprise) … qui n'est souvent même pas atteint : on n'arrive déjà pas à faire nos tâches prioritaires !
Surmonter ces attitudes de rejet spontané suppose un effort de réflexion : quel sens donner à la transparence ? Une fois la conviction acquise que la transparence répond à un besoin fondamental pour l'entreprise, il s'agit de la transmettre à l'ensemble du personnel pour qu'elle devienne une culture partagée et naturelle de l'entreprise. Alors seulement, elle deviendra le compagnon automatique de l'activité quotidienne. Chacun saura pourquoi il convient d'être transparent et comprendra les bénéfices qui en découlent.
Un outil pratique d'auto-évaluation de la transparence est fourni par l'araignée, graphique illustrant l'atteinte de l'objectif « transparence » selon les critères retenus. Si par exemple on retient 5 critères, on dessinera un pentagone dont le centre est relié à chaque sommet par un axe qui prend la valeur « 0 » au centre et « 100 % » au sommet. Il suffit alors de marquer sur chaque axe la valeur observée dans l'entreprise pour chaque critère, puis de relier les 5 points, pour obtenir une figure facile à interpréter.
Une partie du débat porte également sur la concurrence que peuvent se faire plusieurs entreprises ESS lorsqu'elles agissent sur un même marché. Divers exemples indiquent que ces entreprises, dans la logique de l'ESS, ne vont pas s'entre-dévorer mais au contraire s'entendre pour s'attribuer entre elles un segment spécifique du marché, et collaborer pour développer entre elles des méthodes de travail plus efficaces, voire mutualiser certaines tâches. On peut à juste titre parler ici de pratiques cartellaires. Mais, contrairement aux cartels de l'économie capitaliste, qui s'entendent afin de facturer un prix surfait au consommateur, les cartels ESS ne visent pas à obtenir un surprofit indû mais à rendre un meilleur service à leurs usagers. On voit ici clairement la différence de comportement entre une entreprise traditionnelle et une entreprise ESS. La première concurrence son voisin pour prendre sa place et accroître son profit. La deuxième coopère avec son voisin, elle agit en toute transparence à son égard mais aussi vis-à-vis du public, car elle le fait au bénéfice de la collectivité.
Autre point débattu : la nécessité de toujours, dans l'activité ESS, articuler et associer l'économique et le social. Car c'est ce qui nous distingue des entreprises traditionnelles, c'est notre valeur ajoutée. C'est là-dessus qu'il nous faut communiquer et cette dimension doit être intégrée dans nos efforts visant à améliorer notre transparence.
Synthèse des bonnes pratiques
- La transparence pourquoi ? Comment ? Pour qui ? Poser ces 3 questions dans les réunions internes de l'entreprise.
- Choisir les indicateurs pertinents à l'entreprise.
- Mutualiser la fabrication des outils de la communication (rôle de la Chambre ESS).
- Mutualiser les cours de formation.
- Organiser la transmission des savoirs et des pratiques entre membres de la Chambre ESS.
18.11.2012/jndp