Gestion participative et démocratie interne dans l'entreprise ESS: discussion à partir d'une enquête vaudoise
27ème café des bonnes pratiques, octobre 2012
Introduction
La gestion, ou encore la gouvernance, d'une entreprise touche tous les domaines de la marche de l'entreprise : démocratie, gestion du personnel, conditions salariales et sociales ... etc. C'est l'une des dimensions fondamentales qui distingue l'entreprise ESS des autres entreprises. Nous avions discuté de ce thème lors du 1er Café des bonnes pratiques le 4 mai 2007 (pour lire la synthèse du débat, cliquez ICI!).
Que s'est-il passé depuis 5 ans dans nos entreprises membres ? Avons nous progressé dans la démocratie participative, la politique salariale, la gestion des compétences, de la formation continue, des conflits, du stress ? Où en sommes-nous ?
Nous avons fait le point sur ces questions au cours de deux cafés en confrontant nos expériences avec celles de nos amis vaudois d'APRÈS Vaud et de deux chercheurs de l'université de Lausanne. En effet, ces derniers ont conduit une enquête auprès des membres d'APRÈS Vaud et d'autres entreprises dans le cadre d'une étude sur l'économie sociale et solidaire dans le canton de Vaud, dont les premiers résultats sont sortis en automne 2012 et sont, selon leurs dires, mitigés.
Synthèse
Présents 5 entreprises membres, 17 personnes
Michael Gonin et Nicolas Gachet, de l'université de Lausanne, présentent les résultats de l'enquête qu'ils ont conduite dans le canton de Vaud.
L'échantillon
L'échantillon a été constitué par deux démarches indépendantes. Tout d'abord, les membres d'APRES-Vaud et les membres de faitières associatives dont il était évident qu'ils pouvaient se considérer comme appartenant à l'ESS ont été sollicités. En deuxième lieu, les entreprises à but non lucratif du registre du commerce vaudois (fondations, associations et coopératives) ont reçu un questionnaire. La première démarche a permis de récolter les réponses de 250 entreprises et la deuxième les réponses de 320 entreprises. On ne sait pas l'identité des rédacteurs des réponses (dirigeants des entreprises, membres de leur comité, ...) ni comment les réponses ont été rédigées (isolément, en groupe, après consultation des salariés). On ne sait pas non plus les biais possibles afférents à la sélection des répondants puisque l'enquête est volontaire. Les résultats obtenus représentent des tendances et, à ce titre, permettent de débroussailler le terrain et d'émettre des hypothèses de travail.
Principaux résultats
Pour l'entreprise ESS, la libre adhésion à la structure (membre de l'association, coopérateur détenteur d'une part sociale) devrait être un critère de démocratie. Or il n'existe que rarement dans les faits. L'entreprise ESS cherche elle-même des soutiens plutôt qu'elle n'est assiégée par les demandes d'adhésion. L'entreprise est donc généralement régie par cooptation, ce qui peut poser problème à terme.
La participation aux assemblées générales est faible : 40 % des réponses font état d'un taux de participation inférieur à 30 %. De plus, les votes aux assemblées sont souvent de pure forme et obtenus à des majorités écrasantes, voire à l'unanimité. Cela révèle un fort pouvoir des dirigeants (parfois charismatiques) de ces entreprises.
Sur le plan de la démocratie interne, à savoir de la participation aux décisions, le tableau n'est pas meilleur. Les salariés sont peu associés aux processus de décision stratégiques de l'entreprise, en moyenne dans 1/3 des cas. Les bénévoles le sont encore moins. Quant aux usagers ou bénéficiaires des prestations de l'entreprise, leur participation tient de l'exception. Ce tableau contredit nettement les valeurs et principes à la base de l'ESS. Pourquoi ?
Débat
Le débat qui suit fait apparaître que la situation genevoise n'est pas très différente de celle vaudoise. Cela révèle un gros problème entre théorie, intention et pratique. Il convient donc d'ouvrir un chantier de travail sur les relations entre règles et pratiques puisque, à l'évidence, cette relation pose problème. La problématique devrait tenir compte des facteurs suivants :
- taille de l'entreprise : pratiquer la démocratie devrait s'avérer d'autant plus facile que l'entreprise est petite, ça c'est la théorie. Mais le « small is beautifull » peut s'avérer trompeur. Une petite structure avec leader charismatique risque de mettre la démocratie sous le boisseau. Une structure plus grande devra s'affronter au problème de manière sérieuse et volontaire, et souvent le résultat sera plus probant que dans la petite structure.
- âge de l'entreprise : la problématique est différente pour une entreprise nouvellement créée, pour une entreprise encore jeune et en développement, ou pour une entreprise arrivée à l'âge de maturité. En d'autres termes, il faut tenir compte de l'évolution de l'entreprise depuis sa création jusqu'à l'âge adulte.
Différents autres point sont soulevés dans le débat :
Les valeurs qui président à l'identité et à la culture de l'entreprise doivent faire l'objet d'un travail permanent au sein de l'entreprise. Cela se vérifie notamment lors de l'engagement de nouveaux collaborateurs. Si les critères d'engagement se conforment au credo néolibéral de la bonne gestion d'entreprise (compétences, efficacité, performance), la personne engagée, si les valeurs de l'entreprise lui sont étrangères et qu'elle n'y adhère pas, s'intégrera mal et créera des problèmes. Ces critères d'engagement sont donc insuffisants.
Que faire avec les créateurs de l'entreprise ? Comment les gérer ?, Souvent, et d'autant plus s'ils sont charismatiques, ils prennent une place démesurée et l'entreprise devient trop dépendante d'eux. Convient-il de les écarter de l'entreprise ? A quel stade ? Et quel devrait-être le profil des successeurs ? Autant de questions qui devraient faire l'objet d'une réflexion ouverte au sein de l'entreprise.
La capacité et la volonté de participation des salariés, des bénévoles ou des usagers ne vient pas par génération spontanée. Cela demande une éducation, puis un travail continu et ininterrompu, par des cours de formation et par la pratique quotidienne. Ce dernier point entre en interaction évidente avec l'organisation du travail au sein de l'entreprise. Celle-ci doit donc être pensée en tenant compte de l'objectif d'une gestion participative.
Il conviendrait également de mieux différencier la gestion démocratique (pour les coop et les assoc.) et la gestion participative (pour toute entreprise de l'ESS).
Synthèse des bonnes pratiques
- Mettre à l'ordre du jour des réunions internes de l'entreprise la question de la gestion participative.
- S'assurer que les valeurs qui définissent l'entreprise sont toujours d'actualité et partagées par l'ensemble des collaborateurs.
- Voir s'il convient d'organiser une formation continue en gestion participative.
- Adapter l'organisation interne du travail en fonction des exigences de la gestion participative.
- Procéder à une évaluation périodique de la pratique réelle de la participation au sein de l'entreprise.
- Affronter la problématique de la participation des usagers à la marche de l'entreprise.
06.11.2012/jndp