Egalité homme - femme et approche genre, quelles bonnes pratiques dans l’ESS ?
15ème Café des bonnes pratiques des organisations de l'ESS, 2 février 2010
Introduction
Une grande sensibilité à l’égalité entre les hommes et les femmes et plus globalement l’approche genre sont largement répandues parmi les organisations de l’économie sociale solidaire, qui comptent parmi elles de nombreuses organisations actives dans le secteur de l’autonomisation des femmes, du soutien à des populations de femmes en difficulté, etc. D’un autre côté, l’approche genre n’est pas systématique et l’égalité homme-femme est un acquis toujours fragile et régulièrement remis en cause.
Quels principes et fonctionnements spécifiques ont été retenus par les membres d'APRÈS-GE ? Qu'ont-ils mis en place pour garantir la meilleure égalité possible entre leurs collaborateurs et leurs collaboratrices ? Voici quelques questions qui ont servi de fil conducteur aux échanges de bonnes pratiques.
Nous avons démandé aux participants dapporterleurs expériences et réflexions, en réflechissant aux questions suivantes :
- Quelles réflexions ont été conduites au sein de votre organisation, avec quels résultats ?
- Des mesures spécifiques ont-elles été prises ?
- Quelles sont vos lignes directrices et vos pratiques ?
- Quels problèmes rencontreoz-vous ?
Présents
8 personnes représentant 7 organisations: APRES-GE, Ass. Gendering, Bureau Quaker Genève, Ass. A-val, F-Information, Centre de contacts Suisses-Immigrés, Le Courrier.
Synthèse
« Le champ associatif, loin d’être un havre d’égalité, constitue un terrain comme un autre de (re)production des rapports sociaux de sexe, d’autant plus efficace qu’ils y sont invisibles, voire niés. » Erika Flahault et Anne Guardiola, Genre et associations en Europe, le pouvoir en question. In : Informations Sociales, n° 151, janvier-février 2009, pages 128-137.
Cette citation d’une recherche récente sur le monde associatif en France, Espagne et au Royaume Uni ne résume pas l’entier de la discussion qui a animé ce Café, mais elle en donne une ligne de fond. Certes, on peut penser (mais il vaudrait mieux le vérifier) qu’au sein des organisations membres d’APRES-GE l’égalité de traitement et de salaire est réalisée entre les sexes, que la pratique des temps partiels, plus courante que dans l’économie privée à but lucratif, favorise l’intégration professionnelle des femmes et leur accession aux responsabilités. Cependant, ce cadre a priori favorable n’est pas une garantie en soi. Notamment, les rôles sociaux qui marquent la société capitaliste, l’attribution des tâches de la vie quotidienne selon les sexes, les valeurs et stéréotypes qui s’y rattachent, traversent aussi bien l’économie solidaire et ses organisations que le reste de l’économie.
Exemple. Une femme ayant un ou des enfants aura vis-à-vis de son travail une disponibilité et une flexibilité moindre qu’une femme sans enfant ou un homme, ce qui la défavorisera à l’embauche d’abord, puis en cours d’emploi. Cela est vrai pour une femme mariée (avec enfants), mais encore plus pour une femme seule (avec enfants). Il s’agit là d’une discrimination quasi involontaire de l’organisation ESS employeuse, qui provient de circonstances familiales ou personnelles indépendantes de l’entreprise.
L’irruption de facteurs sociétaux dans la vie de l’entreprise, fût-elle solidaire, est inévitable et peut silencieusement aboutir à reproduire les rapports de domination homme-femme d’abord sur des aspects mineurs puis, de fil en aiguille, sur des aspects fondamentaux, cela alors même que l’organisation prétendrait être sensible à la problématique genre et désireuse de lutter contre la discrimination dont les femmes font l’objet. D’ailleurs, n’est pas un signe que ce café ait réuni aussi peu de participants (un record en la matière !) : chacun croit le problème résolu … alors que c’est loin d’être le cas !
Autre exemple. Dans l’étude citée plus haut, il est constaté que l’emploi salarié dans le secteur associatif est majoritairement féminin (cela varie d’un pays à l’autre autour de 70%), alors que cette proportion est inverse pour les fonctions de pouvoir (directions, comités d’associations, conseils de surveillance, …). Cela montre clairement la perméabilité de l’ESS aux valeurs et normes sociétales dominantes. Toutes les questions tournant autour de la problématique du pouvoir sont exemplaires à cet égard.
Comment endiguer ces dérives potentielles ? A l’évidence, la bonne volonté déclarée (ce qui est sans doute le cas de la grande majorité des organisations ESS) ne suffit pas. Il faut donc aller plus loin et se saisir du problème genre de façon active et volontariste, en passant en revue tous les points de l’organisation interne du travail sous l’angle « genre ». Disons, pour faire bref, qu’il y a là une analogie avec la mise en œuvre d’un programme qualité au sein de l’entreprise : l’attention à la problématique genre va toucher tous les échelons de l’entreprise, du sommet à la base et dans tous les recoins. Comme un projet qualité, il s’agit là d’un travail permanent, à recommencer à intervalles réguliers, requérant la détermination d’objectifs puis l’évaluation de leur atteinte.
Dans cette perspective, nous recommandons aux membres d’APRES-GE la consultation d’une méthodologie, à disposition à F-Information, décrivant une approche intégrée de la problématique genre. Cette démarche se prête bien à une application dans les entreprises solidaires. (L’analogie avec les projets qualité se poursuit : ici aussi, on utilise un vocabulaire anglais (gender mainstreaming), cela fait tellement plus sérieux !).
Quatre petits indicateurs faciles à calculer peuvent servir de début de réflexion sur le sujet :
- % femmes dans le personnel salarié
- Sexe du responsable de l’entreprise
- Sexe des adjoints du responsable
- % femmes dans les organes de contrôle (comité, conseil de surveillance)
L’important, c’est de provoquer une prise de conscience des femmes ET des hommes et de reconnaître que l’économie solidaire ne traite malheureusement guère mieux que l’économie marchande la question de l’égalité F/H. A partir de là, on peut se mettre au travail.
Annexe
La Charte d’APRES-GE ne mentionne pas explicitement le problème de l’égalité homme-femme, mais elle l’englobe dans ses principes d’égalité et de non-discrimination. En voici les énoncés :
Citoyenneté et démocratie participative
Les acteurs et actrices de l’ESS participent de manière libre, égalitaire et responsable à la construction d’une société assurant le développement des personnes et l’intérêt collectif.
Diversité
Les acteurs et actrices de l’ESS s’engagent à comprendre, respecter et valoriser les différences entre les personnes et les peuples, à prohiber toute forme de discrimination et à rechercher les complémentarités pour apprendre ensemble.
Pour en savoir plus
Nous conseillons aux membres décidés à empoigner la question de l’égalité H/F dans leur entreprise de commencer par consulter F-Information qui a accumulé beaucoup d’expériences, dispose d’abondantes références et dispenses d’utiles conseils. Les références ci-après nous ont été fournies par Chokoufeh Samii, que nous remercions.
www.florainfo.be: Flora est un réseau belge pour la formation et la création d’emplois avec des femmes. On y trouvera notamment le document : Egalité des chances H/F : la plus-value du gendermainstreaming dans les projets FSE. 2007.
www.ebg.admin.ch: Le bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes a publié, entre autres, un petit fascicule utile : Approche intégrée de l’égalité dans l’administration fédérale. Berne juin 2004, 30 pages.
www.equality.ch: portail de la Conférence suisse des délégués à l’égalité F/H
http://gdr-cadres.cnrs.fr : Site du Groupement de recherche « Cadres » au CNRS français. La 13e Journée du CDR en juin 2007 avait pour thème "Les cadres dans l’économie solidaire". Consulter notamment la communication suivante : A. Junker, A. Amintas et G. Krauss, Femmes entrepreneuses et entreprise sociale.
Voici encore quelques références bibliographiques :
Françoise Héritier, Masculin, féminin, la pensée de la différence, dissoudre la hiérarchie. Paris, Odile Jacob, 2002.
Margaret Maruani, Les nouvelles frontières de l’inégalité H/F sur le marché du travail. Paris, La Découverte, 2004.
Annie Junker , Les mesures proactives, une méthode pour réaliser l’égalité. Revue de droit du travail, juillet-août 2006.
Muriel Tabariès et Viviane Tchernonog, Les femmes dans les associations : la non-mixité des bureaux, reflet de centres d’intérêt différents ou modalités d’accession aux responsabilités pour les femmes ? In : RECMA, Revue internationale de l’économie sociale, N° 397, juillet 2005, pages 60-81.
Erica Flahault et Anne Guardiola, Genre et association en Europe : le pouvoir en question. In : RECMA, Revue internationale de l’économie sociale, N°151, janvier-février 2009, pages 128-137.