Une procédure ouverte contre une raffinerie helvétique montre l'acuité de la problématique du blanchiment des matières premières sales
Communiqué de presse de la Déclaration de Berne
Une dénonciation a été introduite vendredi passé contre Argor-Heraeus SA auprès du Ministère public de la Confédération. Ce dernier a ouvert une procédure.
Partenaire de la DB et auteure de cette dénonciation, l’organisation TRIAL reproche à la raffinerie sise à Mendrisio (TI) d’avoir raffiné près de trois tonnes d’or pillé en RDC entre 2004 et 2005, tout en connaissant son origine problématique. Le produit de ces ventes finançait les activités d’un groupe paramilitaire congolais. Ce cas exemplaire de blanchiment de matières premières montre que les lois helvétiques ne sont pas suffisantes ou qu’elles ne sont pas appliquées. La DB demande des instruments légaux nouveaux.
Entre 2004 et 2005, Argor-Heraeus a raffiné près de trois tonnes d’or provenant d’Ouganda. A cette date, l’ONU, de nombreuses ONG et plusieurs médias rapportaient depuis plusieurs années déjà le fait que ce pays servait principalement de lieu de transit pour des matières premières provenant de la RDC, où elles alimentaient un conflit sanglant. L’Ouganda exportait en définitive cent fois plus d’or qu’il en produisait annuellement. Comme de nouvelles preuves en attestent, les documents douaniers accompagnant ces livraisons indiquaient même explicitement son origine congolaise ! Du point de vue juridique, la dénonciation contre la raffinerie tessinoise se base sur le soupçon de « blanchiment qualifié de valeurs patrimoniales ». Cette infraction pénale recouvre le blanchiment d’autres valeurs patrimoniales que l’argent, comme par exemple des matières premières dont la provenance est illicite.
En mars dernier, dans son rapport de base sur les matières premières, le Conseil fédéral reconnaissait qu’on reprochait à « des entreprises, dont certaines domiciliées en Suisse, d'acheter des matières premières à des sociétés qui ne respectent pas les droits de l'homme, [ou] financent des conflits […] ». Dans une réponse à une motion parlementaire, le gouvernement affirmait que « l'interdiction du blanchiment d'argent en vertu de l'article 305bis du Code pénal s'applique également, de manière générale, au commerce de matières premières ». Les autorités fédérales connaissent donc fondamentalement le problème du blanchiment de matières premières. Mais alors qu’elles tentent depuis des années – avec plus ou moins d’efficacité – d’empêcher que l’argent sale n’arrive sur la place financière suisse, aucun système n’est destiné à empêcher que la place du négoce helvétique accueille les matières premières illégitimes.
Pourtant, de toutes les matières premières, l’or est la plus « réglementée ». Car l’ordonnance sur le contrôle des métaux précieux (OCMP) s’applique aux raffineries et contraint ces dernières à un certain nombre d’obligations. Aujourd’hui comme à l’époque des faits exposés dans la dénonciation, celles-ci doivent notamment « clarifier minutieusement la provenance des matières pour la fonte » en cas de doute sur leur origine. Elles doivent aussi « aviser immédiatement les autorités de police compétentes » s’il y a lieu de soupçonner que les marchandises ont été acquises illicitement (art.168 a). Comme le montre le cas de la raffinerie tessinoise, même ce dispositif préventif s’avère inefficace. On ne peut prétendre qu’Argor-Heraeus ait tenté d’établir soigneusement l’origine de l’or qu’elle a raffiné, comme elle l’aurait dû. Le fait qu’Argor-Heraeus se targue aujourd’hui d’avoir mis en place dès 2004 une politique rigoureuse en matière de chaine d’approvisionnement montre également l’inefficacité d’une telle mesure.
Le Conseil fédéral renvoie volontiers à la sensibilité élevée des sociétés helvétiques en matière de droits humains. L’exemple d’Argor-Heraeus montre néanmoins avec quelle négligence crasse des affaires potentiellement très risquées ont été conclues. Il n’y a pas de raison d’imaginer qu’il en aille autrement aujourd’hui. Quant au blanchiment de matières premières sales, aux mesures éventuelles destinées à l’empêcher ou à punir ceux qui s’y livrent, le constat suivant s’impose : le plus souvent, les règles juridiques manquent. Lorsqu’elles existent, elles sont transgressées ou ignorées. Ou encore, comme dans le cas des dispositions prévues par l’OCMP à propos des produits destinés à la fonte, elles sont vidées de leur sens par les autorités elles-mêmes. L’obligation de clarifier l’origine de l’or aux termes de l’OCMP s’applique en effet autant aux produits destinés à la fonte qu’aux produits de celle-ci. Or, en 2006, le Conseil fédéral relevait que « la pratique du Bureau central du contrôle des métaux précieux veut qu'on n'examine pas, dans le cadre de l'application de l’OCMP, si les métaux précieux ont été acquis à l'étranger légalement ou non ».
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Olivier Longchamp, Déclaration de Berne, 021620 03 09