La Ruche qui dit oui ubérise-t-elle le système Amap ?
La Ruche qui dit oui, qui permet la vente directe de produits alimentaires, connaît un fort engouement en France, avec plus de 5.000 agriculteurs et artisans membres du réseau. Pourtant ce système, organisé par une entreprise privée, essuie des critiques, en particulier de la part des Amap et de certains producteurs.
Commençons par nous intéresser au fonctionnement de cette entreprise. Equanum, la maison mère de La Ruche qui dit oui, est une société par actions simplifiée qui surfe sur la vague de l’économie collaborative. Comme Uber, Airbnb ou Blablacar, elle propose une plateforme internet très performante qui met en lien des utilisateurs. Dans le cas qui nous occupe, les responsables des Ruches se servent de cet outil pour communiquer avec les agriculteurs et les commerçants d’une part, et avec les consommateurs d’autre part.
Equanum salarie donc une centaine de personnes à son siège parisien et dans ses dix bureaux régionaux pour développer le site internet et animer le réseau. Mais les responsables des différentes Ruches sont des entrepreneurs ou associatifs indépendants. Selon la Ruche, ils touchent en moyenne 500 euros par mois pour une dizaine d’heures de travail par semaine. Ils recrutent les producteurs, trouvent les locaux — la plupart du temps des maisons des associations ou des cafés qu’ils occupent gratuitement — et animent les ventes. Sans salaires à leur verser ni de locaux à payer, la maison mère peut ouvrir autant de Ruches qu’elle le souhaite, sans avoir à remettre de l’argent sur la table. Le concept est tellement « bankable » que plusieurs entrepreneurs du web, comme Christophe Duhamel, Marc Simoncini et Xavier Niel, ont investi des fonds avant même la création de la société.
« Toucher un public plus citadin qui réclame plus de flexibilité »
Pour autant, selon Arthur De Grave, du think tank OuiShare, on ne peut pas parler d’« ubérisation » de l’agroalimentaire. « Dans ce secteur, si on parle de monopolisation et de pression sur les prix, l’ubérisation a eu lieu dans les années 1970 avec la généralisation de la grande distribution. La Ruche qui dit oui fait l’inverse, en permettant aux producteurs de gagner mieux leur vie grâce à la suppression des intermédiaires. »
Vraiment ? Faisons le calcul. La maison mère prélève 8,35 % du prix hors taxe d’un produit. La commission est la même pour le responsable de Ruche. Il reste donc 83,30 % pour le fournisseur. Alors qu’un producteur qui passe par la filière classique (coopérative, centrale d’achat, grande distribution) touche rarement plus de 50 % du prix final de son produit. Mais ce n’est pas tout à fait comparable. Les agriculteurs sélectionnés par la Ruche sont la plupart du temps de petits producteurs, qui cultivent plusieurs espèces de plantes, ou élèvent peu de bêtes. Leur production est limitée, et leurs charges plus importantes. Pour survivre, ils ont donc besoin de toucher une part plus importante du prix du produit.
Il est vrai qu’en vendant dans une Amap, qui ne prélève aucun frais, les producteurs touchent 100 % du prix de leurs produits. Mais dans ces associations, qui demandent souvent de s’engager à acheter régulièrement des produits, les débouchés sont limités. « Je vends en Amap, mais les Ruches me permettent de toucher un public plus citadin qui réclame plus de flexibilité, auquel je n’avais pas accès avant », explique Philippe Brard, producteur de volailles et de fruits à la ferme des Vallées, dans l’Oise. Un avis que partage Jean-Michel Amirault, viticulteur à Bourgueil : « Les clients de l’Amap n’achètent pas toute notre production. Les Amap et La Ruche sont deux systèmes complémentaires. » Un avis que partage Hélène Binet, responsable éditoriale de la start-up, qui a répondu à Reporterre au nom de la direction, ajoute : « Devant cette nouvelle crise agricole, les circuits courts ont plus que jamais besoin de se fédérer, de se développer, d’innover et d’inventer de nouveaux modèles. »