Aux Vergers, le commerce sera social et solidaire
L’écoquartier en construction à Meyrin privilégie les synergies et l’innovation pour ses futures arcades.
«Arcades à Meyrin cherchent locataires en phase avec l’économie sociale et solidaire. Activités polluantes et individualistes s’abstenir.» La petite annonce est fictive, mais elle illustre le travail qu’entreprennent en étroite collaboration depuis deux ans la Ville de Meyrin et la Chambre genevoise de l’économie sociale et solidaire (APRES-GE). Leur mission: trouver des candidats pour les 10 000 m2 de surfaces commerciales et associatives situées aux rez-de-chaussée des immeubles de l’écoquartier des Vergers, actuellement en construction à Meyrin.
Les arcades s’ouvriront graduellement du printemps 2017 à la fin 2018 et accueilleront plus de 40 locataires différents. D’ores et déjà sélectionnés, le restaurant «fait maison», l’espace yoga, le coiffeur ou encore le pressing n’ont pas été choisis au hasard, mais en fonction de leur capacité à répondre aux critères de viabilité économique et d’impact socio-environnemental établis par APRES-GE.
Démarche participative
«La Ville de Meyrin veut réussir un écoquartier exemplaire», confirme Melissa Rebetez. Pour la responsable du service du développement social et de l’emploi de la commune, construire un quartier tel que les Vergers, à la dimension «éco» très marquée, dans une ville qui a elle-même une forte identité, basée sur la diversité culturelle, ainsi que le fait d’être la première cité satellite de Suisse, représente un véritable défi: «Il est important de conserver l’unité perceptible de Meyrin », souligne celle qui est également en charge de la démarche participative de l’écoquartier des Vergers.
Démarche participative? C’est l’instrument choisi par la Ville de Meyrin pour faire cohabiter 1358 logements avec des emplois, des commerces et des services, en privilégiant la solidarité, les synergies et l’innovation. Il faut savoir que la municipalité ne possède pas de surfaces commerciales puisqu’elle a cédé ses droits à bâtir (environ 50% des immeubles, l’autre moitié appartenant à des propriétaires privés) à six coopératives ainsi qu’à la Fondation Nouveau Meyrin. Ces propriétaires sont donc libres de leur choix pour l’attribution des arcades. «Pour respecter les valeurs de l’écoquartier, il s’est dès lors avéré nécessaire de piloter le dialogue entre les propriétaires, les locataires potentiels des arcades, les futurs résidents et les habitants de la commune», explique Melissa Rebetez.
Aux Vergers, cette démarche participative démarre en mai 2013. La Ville de Meyrin se rend toutefois vite compte que la sélection des futurs locataires implique un grand investissement. Elle choisit donc de travailler avec APRES-GE – tout d’abord via Essaim jusqu’à la fermeture de l’incubateur en raison des coupes budgétaires de la Ville de Genève, au printemps 2016 – afin de concilier la nécessité de faire rentrer des loyers avec un objectif non marchand.
Rapports de confiance
Première étape: Essaim réunit régulièrement autour d’une table les représentants de la Ville de Meyrin et les propriétaires des immeubles, afin de rédiger la charte des rez-de-chaussée de l’écoquartier. «Le plus grand défi? Etablir des rapports de confiance et amener les propriétaires à collaborer», note Melissa Rebetez. Même les propriétaires privés? «Effectivement, ils ne participent pas tous aux réunions, mais ils ne s’opposent pas au processus.» Témoin le financement de la démarche participative elle-même, alimentée à parts égales par les privés, les coopératives, la fondation et la Ville de Meyrin.
En novembre 2014, ce processus participatif aboutit à la finalisation d’un «masterplan» représentant la répartition idéale des arcades. Les commerces de proximité (pharmacie, kiosque, tabac, etc.) sont disposés près de la ligne du tram, tandis que les commerces et activités de destination se regroupent en différents pôles: les artistes et artisans, l’alimentation, la formation, le recyclage ou encore la santé. «Ces pôles ne sont pas rigides, indique Melissa Rebetez. Nous devons tenir compte des desiderata des propriétaires et des locataires, tandis que la taille des arcades s’avère également un élément déterminant.»
Deuxième étape: l’allocation des arcades. À ce jour, dix-neuf d’entre elles ont trouvé locataire. Sans dérouler une liste à la Prévert, on relève, à la suite du supermarché paysan participatif (lire Le Courrier du 24 septembre 2015) et en plus des commerces cités plus haut, une épicerie fine, l’école Montessori, un réflexologue… Alexandre Burnand, chargé de projet à APRES-GE, a la tâche de «remplir» les vingt-trois espaces encore disponibles. Après une première vérification générale (pas d’activités polluantes ou antisociales, ni en concurrence dans l’écoquartier), il note chaque candidat à l’aide d’un éco-businessplan et des critères d’adhésion à APRES-GE1. L’activité proposée devra démontrer transparence, intérêt collectif, lucrativité limitée, contrôle salarial, respect de l’environnement ou encore gestion participative.
Rencontres directes
Lorsqu’une candidature est validée, le futur locataire rencontre les propriétaires d’arcades pour présenter son activité. Le consultant d’APRES-GE donne l’exemple d’un commerce de lingerie pour femmes touchées par un cancer du sein. «Une activité de niche, très spécialisée, mais qui peut attirer une clientèle loin à la ronde.» Une fois l’intérêt confirmé, APRES-GE n’intervient plus dans les négociations ni dans la décision finale.
«Nous sommes encore à la recherche d’activités de thérapies alternatives, de formation continue et d’artisanat alimentaire. Il manque également une crèche – pourquoi pas une structure autogérée», glisse Alexandre Burnand. Son regard s’illumine en évoquant les négociations en cours pour une auberge participative, un tea-room intergénérationel, ou encore un FabLabs, un laboratoire de fabrication numérique à dimension écologique, avec des imprimantes 3D utilisant des matériaux recyclables. Il souhaite également développer la dimension culturelle, «une biodiversité souvent oubliée dans le développement durable».
L’autogouvernance pour pérenniser l’écoquartier?
Pour les arcades des Vergers, le défi sera d’assurer leur viabilité financière tout en maintenant leur engagement écologique et social. «C’est le cas notamment pour les restaurants, qui devront oser se fournir localement, par exemple auprès du futur supermarché paysan participatif, alors qu’ils dégagent des marges très faibles», remarque Alexandre Burnand.
Le développement de ce type de circuit court ne pourra se faire sans la participation des habitants de l’écoquartier, qui devront s’engager à consommer aux Vergers. Si, pour Alexandre Burnand, les «bobos» sont déjà acquis à la cause, les familles des classes moyenne et inférieure considèrent encore l’écologie comme un luxe. «Il sera important de trouver des solutions adaptées à chacun. Les projets d’agriculture urbaine et de ventes directes dans l’écoquartier sont des pistes à explorer.»
Melissa Rebetez est pour sa part consciente que les arcades proposant des activités socio-culturelles et participatives seront moins rentables qu’une boulangerie ou un kiosque: «C’est pour cela que les propriétaires réfléchissent à la création d’un fonds qui pérenniserait ce type d’activités», révèle la responsable du service du développement social et de l’emploi de la Ville de Meyrin.
Et dans le long terme? Les principes de l’économie sociale et solidaire résisteront-ils au renouvellement des locataires? Melissa Rebetez rappelle que la Ville de Meyrin s’est engagée pour que les Vergers se construisent dans le respect des valeurs «écoquartier», mais qu’il appartient aux propriétaires des arcades d’en assurer la durabilité. «Quand les gens seront installés dans le quartier, ils se connaîtront déjà grâce à la démarche participative. De là, on peut imaginer le développement d’une démocratie de quartier, d’une forme d’autogouvernance, en dialogue avec les commerçants, les habitants et les autorités.» NGM