Les Escapades de Natacha au coeur de l'entreprise Culture Locale

Natacha de Santignac, journaliste, blogueuse et voyageuse, part à la découverte des membres de la Chambrer et vous propose de l’accompagner dans ses « petites escapades » au cœur de l’économie sociale et solidaire, aujourd’hui à Culture Locale.

La journée s’annonce chaude et ensoleillée. Tenue légère de mise, mais attention, pas de coquetterie, car aujourd’hui, je vais préparer des paniers de fruits et de légumes bio cultivés et récoltés chez Cultures Locales à Dardagny. Livraison prévue dans l’après-midi. C’est une grande première et j’espère que je serai à la hauteur de la tâche ! En tout cas, je suis excitée comme une puce !

Je blablate, je blablate, mais je n’explique rien, pas vrai ? Cultures locales est une entreprise maraîchère qui développe une agriculture contractuelle de proximité dont la forme juridique est : Sàrl à but non lucratif (voir encadré). Installée à Dardagny depuis 2010 avec au départ quatre compères : Julia Panetti, Kim Salt, Daniel Tecklenburg et Gilles Lebet. L’exploitation couvre un hectare et demi. La culture respecte les cycles de la nature avec le souci de nous proposer des aliments sains, goûteux et variés. Chaque semaine, des paniers sont préparés pour les personnes inscrites à l’année. Il y a deux formats : des grands et des petits dont les prix varient entre CHF 810.- & 1'385.- en fonction de la formule choisie. La livraison est optionnelle. De plus, chaque inscrit a la possibilité de diminuer le coût de son panier en mettant la main à la pâte, les demi-journées de travail sur l’exploitation donnent droit à un rabais. Parce qu’il en faut des mains pour récolter huit cent kilogrammes de pommes de terre ou 4 tonnes de tomates (en 2014) !

Alors, voilà, j’y suis. J’avance en terrain inconnu. Un grand bâtiment sur ma droite d’où dépassent des machines agricoles et sur ma gauche des serres. J’y rencontre Kim et Daniel qui me remercient de venir leur donner un coup de main en cette matinée très chargée. Kim me conduit vers Gilles et je découvre, tout au fond du hangar une armée de sacs en toile de jute (produits en Inde dans une structure de commerce équitable), dont le ventre se remplit sans fin ! Aujourd’hui, les victuailles se composent de carottes, tomates, basilic, courges massue, courgettes (vertes et jaunes), tomates-cerises (trois variétés), pommes de terre…

Ce qui me frappe d’abord, ce sont les odeurs qui émanent de tous ces produits. C’est l’ivresse et je dois me contrôler pour ne pas rester le nez collé aux bottes de basilic ! Les couleurs ensuite me ravissent : une palette de nuances digne des plus grands maîtres : des jaunes, des verts, des rouges, des blancs, des oranges, la tête me tourne ! Heureusement, j’ai du travail et je dois me concentrer. Il me faut préparer des barquettes de 300 grammes de tomates-cerises, puis répartir les bottes de carottes dans les sacs. Je m’amuse à les poser délicatement aux côtés des courges massue dont les ondulations évoquent la grâce des cygnes du lac. Le temps passe vite et nous voilà déjà à la pause-café.

Enfin, je ne suis pas certaine que le mot « pause » soit vraiment approprié car si chacun arrête son activité, les questions d’organisation, elles, fusent. Il y a un prospectus à mettre en page, on ne sait pas si le retraité bénévole qui gère une partie des livraisons sera d’attaque cet après-midi. Qui s’occupe du coulis de tomates et qu’en est-il du repas de midi ? J’écoute et j’observe, à qui reviendra la balle de match ? Je discute un peu avec Doris, l’une des deux bénévoles présentes aujourd’hui. C’est une amie, en plein questionnement professionnel. Ici, elle se ressource au contact de la nature et apprécie le calme qui l’entoure.

Après cet interlude, les paniers étant fin prêts, Gilles, Doris et moi partons pour la cueillette des mûres et des framboises. Le soleil commence vraiment à cogner et lorsque Doris court chercher son chapeau, je regrette de n’avoir pas songé à prendre le mien, quelle citadine ! Gilles nous explique que « en gros, le fruit est mûr s’il vient sans tirer », alors on ne tire pas et ça vient ! La récolte sera bonne, plus d’un kilo de mûres et un kilo cinq cent de framboises. Pendant la cueillette, on discute des parcours de vie, des choix de Gilles qui travaillait avant au Comité internationale de la croix rouge (CICR). Cultures Locales lui permet d’exercer une activité à temps partiel en Suisse et de s’occuper de ses enfants, ce qui n’a pas de prix. Attention, ce n’est pas toujours simple et la réalité est que « même à temps complet ici, je ne pourrais pas payer mon loyer ». C’est son épouse qui perçoit le principal salaire du couple.

Mûres en barquette pour le marché de l’après-midi, framboises au congélateur, il est l’heure de la visite ! Nous commençons par la serre de multiplication, autrement dit là où sont plantées les graines et où les futurs comestibles commencent leur vie. Les plantations pour l’automne et l’hiver grandissent tranquillement : poireaux, fenouil, arc-en-ciel de choux,  et des poireaux de blettes, oignons. Au bout de la serre une grosse machine, une butteuse toute neuve qui permet d’économiser trois semaines de boulot même si elle ne sert qu’une semaine par an. Plus loin, une section d’arbres fruitiers ; ils ont été plantés par des élèves dans le cadre d’un projet scolaire grâce au soutien de Pro Natura. Au passage on « rebâche » des pommes de terre et des poireaux de filets contre la teigne, on fait coucou à Daniel sur son tracteur. Gilles m’explique que tous les aromates vont être déplacés, un boulot de dingue ! Nous traversons des lignes de courges grimpantes, de tomates, d’aubergines, et j’en passe.

La promenade c’est bien, mais avant de passer à table, il faut encore récolter des tomates. Sécateurs obligatoires, les tiges sont très épaisses ! On les coupe vertes avec le cul rouge, ensuite elle mûrissent tranquillement avant de passer à la casserole ! Une nouvelle fois je suis assaillie par le parfum des fruits. Heureusement qu’ils ne sont pas mûrs, je les croquerais à pleines dents ! Ah, mais j’en vois de toutes rouges et bien grosses… Gilles m’explique que ce sont celles sélectionnées pour les graines, dommage...

Soudain, « A table ! », résonne entre les serres. Sécateurs et cagettes de tomates regagnent leurs quartiers. Nous allons faire ripaille ! La culture, ça creuse !
Tous les légumes qui accompagnent le poulet et les pâtes proviennent du cru, c’est délicieux et mes papilles, mises à l’épreuve toute la matinée se délectent. Comme à la pause du matin, les activités des jours à venir est à l’ordre du jour et notamment les livraisons de la ferme Budé dont on ignore, à ce stade, si elles pourront être toutes honorées.

Et puis on parle. Daniel évoque la volonté du gouvernement fédéral de regrouper au maximum les exploitations afin d’être compétitif face aux importations étrangères chinoises et américaines, entre autres. Mes yeux deviennent immenses et je me demande si j’ai bien entendu. Concurrencer ces deux géants ? Il ne faudrait plus que quatre fermes en Suisse, ou bien ? On parle aussi de personnes dans le besoin qui viennent aider et à qui on offre de la nourriture et de l’importance du label Bio, qui bien que coûteux pour la structure, lui donne aussi sa crédibilité, de l’arrivée prochaine d’une apprentie que tout le monde se réjouit de former.

La fin du repas sonne l’heure de mon départ, mais avant de dire « au revoir », je file à la cuisine et fais la vaisselle. Je ne suis naturellement pas comme la fourmi, certes, mais il est important pour moi de contribuer, jusqu’au bout, à cette belle idée de partage et de solidarité que j’ai vécu intensément. Si le cœur vous en dit, les petites mains sont toujours les bienvenues. Accueil et échange garanti !

Comment Cultures locales vit son statut ?

La Société à responsabilité limitée à but non lucratif est une forme juridique peu utilisée pourtant elle représente une alternative intéressante pour tous ceux qui souhaitent apporter leur contribution à l’économie en intégrant une réflexion sur les buts poursuivis par les actionnaires. L’incubateur Essaim de la Chambre de l'économie sociale et solidaire  accompagne ce type de réflexion en proposant également des conseils pratiques pour la création de ce type de statuts encore peu utilisé. En effet, le seul but de constituer une société est-il d’en tirer le maximum de profit ? Les conditions de travail des employés, leur salaire, leur mobilité, leur flexibilité, leur motivation, ne représentent-ils pas des paramètr intéressants pour fonder une entité durablement ?

La Société à responsabilité limitée à but non lucratif ou à lucrativité limitée représente une alternative viable sur le long terme. Attention, ce n’est pas parce que les bénéfices ne sont pas redistribués aux actionnaires que la société ne doit pas en générer. Cela signifie que le bénéfice est utilisé d'abord pour assurer des salaires équitables et permettant de vivre correctement. Et c’est un peu sur ce point que le bât blesse chez Cultures Locales, car le salaire à 100% est aujourd’hui de CHF 2'850.- alors que le revenu agricole moyen en Suisse est de 3'600.- .

Bien sûr, les six associés sont partie prenante et travaillent tous sur place (seul Daniel travaille à 100%), ils bénéficient de mobilité, ils sont autonomes, l’égalité hommes-femmes est respectée, la planète n’est pas polluée par leurs activités et ils se nourrissent de produits sains. Cependant, il faut bien vivre et le modèle dominant qui les entoure rend leur tâche aussi ardue que délicate, car un projet de vie idéal en accord avec des principes et des convictions fortes ne peut survivre sur du long terme, qu’en étant intégrer à un ensemble d’acteurs ayant les mêmes préoccupations.

Daniel est confiant, de plus en plus de personnes deviennent consommacteurs, réfléchissent avant d’acheter et sont à la recherche de produits de qualité qui proviennent du terroir. Il pense que sur une décennie, leurs salaires peuvent s’harmoniser avec la moyenne nationale.Lorsque cela sera le cas, le bénéfice qui sera dégagé sera entièrement réinvesti dans l’exploitation afin de continuer son expansion, de développer son potentiel. Conscient des sacrifices que ses associés et lui-même concèdent, il aspire profondément à un monde meilleur dans lequel la majorité des hommes aura réalisé les enjeux qui nous attendent dans les années à venir. Pour ma part, j’espère que le « bien vivre ensemble » prévaudra sur les chiffres dont nous ne sommes, aujourd’hui, que les pions.

Natacha de Santignac

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